Nombreux sont les artistes qui jonglent avec le désir d’une création libre de toute attache, mais le modèle économique en culture sous-tend une pluralité d’acteurs qui interviennent entre le produit et la vente. La jeune chanteuse Vanessa Borduas, a voulu maîtriser elle-même la production, la diffusion et les recettes de ses créations sans dépendre des maisons de disques et salles de spectacle. Audacieuse, elle s’est lancée en entrepreneuriat dans l’industrie de la musique pour réaliser ses projets, mais aussi ceux de ses pairs. Rencontre avec une auteure-compositrice-interprète-entrepreneure qui saisit le taureau par les cornes pour faire rayonner la culture avec une indépendance farouche.
À l’orée d’un champ de tournesols tournés à l’unisson vers le soleil qui descendait à l’horizon, le long reflet des chaises abritées sous un grand saule léchait une scène éphémère plantée là pour l’occasion. Le joli décor champêtre de l’huilerie Arôme des Champs de Bromont s’est prêté à perfection pour la prestation de Vanessa Borduas, protégée de Marc Dupré à la Voix qui s’est aussi illustrée au Festival international de la chanson de Granby. L’Escale est le nom de la tournée qu’elle et d’autres artistes ont entrepris en mini-van dans des lieux insolites à travers le Québec cet été. Une initiative de Productions Flèche, la boîte de création et production que la jeune femme a elle-même mis sur pied pour que sa voix, mêlée à d’autres, puissent porter plus loin.
Entreprendre, c’est aussi créer
Vanessa fait de la scène depuis qu’elle est toute petite. « La voie que j’ai prise pour porter mes messages et exprimer ma sensibilité passe aujourd’hui par l’entrepreneuriat, n’hésite-t-elle pas à affirmer. Je me suis longtemps cherchée, j’ai hésité à laisser tomber des jobs qui avaient la sécurité d’un salaire à temps plein. Finalement, je me suis investie dans ma propre compagnie, puis je l‘ai structuré et réorienté. C’est une amie qui m’a récemment fait réaliser que peu importe dans quoi je me lance, je crée ».
Un soulagement pour celle qui a toujours eu mille et un projets en branle mais qui se définit d’abord et avant tout comme une artiste. « Aujourd’hui, je suis capable de prévoir des moments de création distincts de mon travail comme entrepreneure mais j’ai toujours touché à tout: relancer la radio étudiante, réanimer la salle de musique, accompagner des jeunes en théâtre, participer à des ateliers et des résidences d’écriture jusqu’en France, apprendre puis enseigner à l’École de la chanson, me former en communication et en animation culturelle, gérer des projets, puis des événements et des artistes ».

Une entrepreneure agile, un projet d’affaires qui évolue
« Au départ, la compagnie Productions Flèches, enregistrée en 2014, c’était pour lancer mon premier album de façon indépendante, admet-elle. Mais j’ai vite eu l’impression de pédaler dans le vide, je me demandais pourquoi je faisais ça et où je m’en allais. Je me suis sentie seule et essoufflée. Je suis allée dans mon entourage sonder un peu ce que les autres artistes-compositeurs-interprètes indépendants trouvaient le plus difficile dans l’autogestion. Chaque fois, la réponse qui revenait, c’était de se vendre ». Vanessa s’est mise à faire de la prospection: elle a contacté des lieux de diffusion, et fait du booking pour d’autres artistes émergents. En 2016, la compagnie est devenue une agence de spectacles.

La jeune femme de 24 ans a plongé dans l’entreprenariat et a suivi une formation pour mieux maîtriser tous les rouages : elle a obtenu un ASP en lancement d’entreprise et a suivi le programme Nest in Montreal sur le Lean Startup organisé par LOJIQ pour préciser sa proposition d’affaires.
Toujours prête à faire pivoter son entreprise pour assurer sa pertinence et son utilité, Vanessa a récemment intégré la gérance artistique et la production de spectacles. Deux nouveaux employés offrent des services à la carte : recherche et rédaction pour le financement de projets, administration et communication, consultation en gestion de carrière et production, identité artistique et visuelle. « Ce nouveau volet nous a permis de faire rouler l’entreprise pendant le confinement ».
En plus de devenir une boîte créative, Productions Flèche est une maison de disques, un label indépendant, puisque Vanessa s’est remise à la création et à l’autoproduction. Avec une licence qui lui permet d’exploiter les enregistrements des autres et de les distribuer numériquement, elle contribue aussi à la mise en marché et à la commercialisation des artistes intéressés. Avec clairvoyance, la jeune femme a saisi l’espace qui s’était ouvert avec la démocratisation des moyens de production et de diffusion, notamment avec le numérique, pour en prendre les rênes.
L’entrepreneuriat pour faire rayonner la culture
La tournée Escale est le gros projet de production de relance culturelle post-pandémie. « Je ne pouvais pas passer à côté de cette opportunité, même si elle a été la plus risquée financièrement, relève Vanessa. Une partie de la subvention n’est accordée qu’au départ. J’avais une grosse somme à avancer pour l’achat du camion, sa transformation avec le matériel de spectacle, le branding, et le démarchage auprès des lieux pour faire du maillage avec des entreprises en agro-tourisme. Il fallait bien trouver une alternative et rejoindre le public autrement qu’en salles. C’est une initiative trippante et innovante, que je vais sûrement renouveler, mais surtout, elle a permis à sept artistes de tourner cet été. C’est une belle vitrine ».

Ma compagnie prend vraiment tout son sens dans cet esprit d’entraide.
C’est ce qui m’allume et ce qui est aujourd’hui au cœur de ma mission d’entreprise.
Son nouveau défi? « On parle rarement aux artistes de la façon de gérer la croissance de leur entreprise. Je reste les oreilles grandes ouvertes pour pouvoir assurer la suite et faire rayonner les artistes ».