
Le télétravail n’est plus obligatoire au Québec, depuis le 28 février 2022. Pour plusieurs Québécois, il est devenu une réalité, accélérée par la pandémie de COVID-19 et la pénurie de main-d’œuvre. Le télétravail a désormais un impact fondamental sur les entreprises et les organisations. Il dispose d’avantages indéniables pour plusieurs. Or, il ne peut remplacer tout l’intangible des contacts humains.
Quelles sont les appréhensions à propos du télétravail ? Quelles sont les approches souhaitées par les travailleurs et les employeurs ? Quel modèle est idéal ?
Henkel média vous propose les éléments clés d’un entretien avec Nicolas Roy, chef de la direction d’EPSI, une entreprise qui offre des services de consultation et des outils d’évaluation des ressources humaines et des talents. Cette firme, qui a 70 employés, accompagne plusieurs organisations dans la transition vers différents modèles de télétravail.
En général, la fin du télétravail obligatoire a été bien accueillie par le milieu des affaires, qui la réclamait au gouvernement Legault. Cette décision démontre que la société québécoise tente d’apprendre à vivre avec le virus. Dorénavant, il faut aussi apprendre à vivre avec le télétravail !
« Il y a environ 15 ans, nous avons mené les premiers tests sur les aptitudes pour le télétravail, indique M. Roy. Quant aux préférences des travailleurs pour ce mode de travail, des sondages ont été effectués chez EPSI dès 2016. Quelques années avant la pandémie, le télétravail était vu comme un avantage concurrentiel. Une organisation qui permettait de travailler à distance était en quelque sorte un employeur de choix. Aujourd’hui, bien des choses ont changé. Des connotations négatives sont même attribuées à l’endroit d’un employeur qui refuse le télétravail à ses employés. »
Bien entendu, toutes les entreprises n’auront pas recours au mode à 100 % à domicile ou au format hybride. Les employeurs ont dû communiquer leurs intentions à leurs employés au cours des dernières semaines. Dans le cas contraire, les risques de confusion et de frustration sont grands. Par-dessus tout, les employeurs se doivent de considérer les exigences des travailleurs, au moins lorsque la tâche le permet. « Les employeurs doivent prendre au sérieux les besoins de leurs employés, surtout dans un contexte de rareté de main-d’œuvre, mentionne M. Roy. De nombreux employés n’étant pas à l’aise avec la politique de leur employeur pourraient ainsi sonder le marché. La logique est simple : depuis quelque temps, le travailleur a le gros bout du bâton. »
Les travailleurs évaluent d’ores et déjà leurs besoins. Nicolas Roy précise que 53 % des Canadiens ont manifesté une intention de quitter leur employeur, à la fin 2021. En temps normal, ce désir est d’environ 25 % chez les travailleurs. Mais, la pandémie, ajoutée à la pénurie de main-d’œuvre, ont accentué de beaucoup cette envie d’aller voir ailleurs. Les employeurs quant à eux, tentent de s’adapter à cette nouvelle réalité du télétravail qui chamboule parfois les structures et les méthodes.
« Le milieu du travail est changé à tout jamais. Cette révolution est favorisée par l’intégration des nouvelles technologiques et les transformations numériques. Celles-ci ont été forcées sur une période de six mois au lieu de s’étaler sur une décennie. En fait, les grandes transformations dans le milieu du travail sont souvent causées par des crises majeures. Au même titre que l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail durant la Seconde Guerre mondiale, le télétravail a commencé à transformer notre société. »
Selon M. Roy, il est trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur l’expérience du télétravail des deux dernières années. Cependant, une tendance lourde se dessine au moment où la communauté d’affaires avec l’aide du gouvernement (qui a notamment offert des programmes de formation et investi 130 millions $ pour assurer le virage numérique des PME) met en place un mode de travail hybride efficace. D’après Statistique Canada, 32 % des employés canadiens âgés de 15 à 69 ans effectuaient la plupart de leurs heures de travail à partir de la maison au début 2021, comparativement à seulement 4 % en 2016.
La perception des Canadiens par rapport au travail a grandement changé durant la crise sanitaire. Avant la pandémie, peu de gens avaient goûté au télétravail, souligne Nicolas Roy. Désormais, le chiffre est de 88 %. Ils ne réfléchissent plus à leur emploi de la même manière. D’ailleurs, des centaines de milliers de personnes ont remis en question leur choix de carrière, leur place dans la société et leur rapport à leur employeur. Ils veulent souvent de meilleures conditions et un meilleur salaire.
L’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés a partagé en juin les constats de sondages réalisés auprès de ses professionnels agréés et auprès de télétravailleurs. Voici quelques statistiques évocatrices : 38 % des travailleurs souhaitent le temps plein à domicile tandis que seulement 1 % des employeurs adhèrent à cette approche. 24 % des travailleurs souhaitent la pleine flexibilité sans exigence, mais un mince 8 % des employeurs sont du même avis. En fait, les dirigeants d’entreprise (52 %) favorisent le temps partagé avec une exigence de présence minimale au bureau, qui est déterminée selon une formule fixe et prédéterminée chaque semaine. Par exemple : trois jours en télétravail et deux jours au bureau par semaine. Toutefois, cette option ne plait qu’à 18 % des employés.
La transition entre le télétravail forcé et le télétravail hybride sera de toute évidence à surveiller. L’un des enjeux principaux concernant celle-ci est évidemment la productivité.
La productivité
Contrairement aux idées reçues, les travailleurs sont plus productifs à domicile qu’au bureau, selon de nombreuses études. Parmi les éléments qui favorisent l’efficacité des salariés à distance, il y a la suppression du temps de transport domicile-travail : le temps économisé serait réinvesti pour un tiers dans l’accomplissement des tâches professionnelles conduisant à une augmentation du temps de travail effectif. En gros, le recours au télétravail augmenterait la productivité de 5 % à 12 %.
Selon M. Roy, la meilleure approche pour les modes de travail varie d’un employé à un autre. La formule gagnante peut s’avérer le modèle hybride pour l’un, alors qu’un autre sera pleinement efficace à domicile à temps plein. « Les enjeux sont différents pour chaque secteur d’activité. Quand le télétravail est possible, il est important d’analyser quel est le meilleur des modèles pour son entreprise. »
« La pandémie a prouvé que les Canadiens sont capables d’être productifs à la maison, lance Nicolas Roy. En moyenne, ils sont en fait plus productifs. Pourquoi retourner en arrière ? Les employés doivent donc avoir la latitude nécessaire pour prendre la décision qui est la meilleure pour eux. » D’ailleurs, c’est ce qui est primordial, d’après lui.
Autre point majeur, la sécurité psychologique : « Le retour au travail imposé peut être une source de stress significative pour une personne qui est absente du bureau depuis deux ans. La COVID peut effrayer encore des travailleurs… »

La confiance
Malgré tout, des employeurs sont toujours méfiants à l’endroit du télétravail. Ils auraient notamment de la difficulté à mesurer la productivité de leurs employés. Au dire de Nicolas Roy, c’est notamment un problème de confiance envers la main-d’œuvre.
« Les employeurs veulent contrôler la production. D’autres pensent que le retour au travail des employés va aider les commerces environnants (donnons l’exemple du centre-ville de Montréal). Ils croient aussi, parfois à raison, que c’est une bonne manière de favoriser des connexions entre les gens. En effet, l’affiliation sociale est un besoin fondamental au travail. Par contre, d’autres moyens sont possibles pour encourager celle-ci. Lorsque le travail en présentiel est obligatoire, un autre besoin fondamental est brimé, soit l’autonomie, qui a un impact très important sur le bonheur au travail et ultimement sur l’expérience employé. »
Cette crainte du télétravail est souvent amplifiée par l’absence d’encadrement et d’outils efficaces pour former les gestionnaires, de souligner M. Roy. Bien que l’autonomie et la flexibilité soient extrêmement importantes, il affirme que d’autres enjeux sont associés au choix du bon modèle de travail, dont la santé mentale, l’hyperproductivité, l’isolement et la déconnexion et les conditions de travail. « Les dirigeants ont donc le devoir de créer un nouveau modèle avec lequel leur entreprise ou leur organisation va bien fonctionner. »
Le modèle idéal ?

Certes, il faut exclure de l’équation les secteurs manufacturiers, le commerce de détail, l’industrie touristique, la restauration, ou encore l’hébergement. Mais, de nombreuses organisations sont concernées. Les questions suivantes sont incontournables chez l’employeur :
- Quel degré d’autonomie pouvons-nous donner aux employés quant à leur lieu de travail ? Comment, quand et où travaillent-ils ?
- Pour quelles activités / responsabilités pouvons-nous donner beaucoup de flexibilité et d’autonomie à nos employés ?
- Comment pouvons-nous mesurer la productivité associée au nouveau modèle de travail ?
Quel serait le cadre idéal d’après Nicolas Roy ?
Offrir la possibilité aux gens de décider quand ils souhaitent se déplacer pour venir au bureau ou rester à la maison. Ce modèle doit s’insérer dans une volonté d’offrir, comme l’indique ci-dessous M. Roy, la meilleure expérience employé possible. Celle-ci implique le sens, la bienveillance, les moyens et l’engagement (voir le tableau).
Les besoins fondamentaux
Dans l’analyse des modèles en télétravail, il faut tenir compte, selon EPSI, de trois besoins fondamentaux chez l’humain pour qu’il soit heureux au boulot. Pour évaluer ce niveau de bonheur, il faut s’attarder dans un premier temps à ce qui influence le travail d’une personne, ce qui la motive :
Le besoin d’autonomie
Une personne doit avoir une certaine liberté dans la prise de décision ou dans les actions au travail. Des exemples : être en mesure de définir son horaire ; proposer des idées et des solutions face à des éléments impactant son travail ; décider comment et avec quel outil l’effectuer ; prioriser les tâches à accomplir ; agir selon ses propres valeurs…
Le besoin de compétence
Il se traduit par le besoin de se sentir efficace et capable d’effectuer des tâches de différents niveaux de complexité. Par exemple, se sentir utile à l’organisation et capable d’atteindre les objectifs fixés ; avoir l’occasion de se perfectionner et de grandir au niveau professionnel ; de disposer d’outils de travail adéquats. Le besoin de compétence veut aussi dire obtenir de la reconnaissance quant à sa contribution, ses succès et son expertise.
Le besoin d’appartenance sociale
Il se caractérise par le besoin de se sentir connecté à d’autres personnes et par celui d’être supporté par autrui. La richesse, l’intensité et la fréquence des relations avec les autres sont au cœur de ce besoin. Par exemple, se sentir inclus dans un groupe de travail ; comprendre ce que vivent ses collègues ; être compris de ceux-ci ; avoir un réseau social ; avoir des interactions positives avec d’autres employés.
Le choix du modèle

Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, où les études les plus positives prévoient un retour à la normale vers 2036, il est important pour l’employeur d’assurer une expérience positive pour l’employé s’il veut garder ses talents, surtout ceux de haut niveau.
« Maintenant que l’employé a démontré qu’il est efficace en télétravail, il faut lui permettre le choix du modèle qui lui convient. D’autant plus, qu’il a pu, durant deux ans, goûter au télétravail. »
Ainsi, le mot d’ordre est flexibilité.
« Pour certaines personnes, toutefois, le mode présentiel s’avère la meilleure option. Difficulté de se concentrer à la maison, besoin de socialiser au travail et nécessité d’un espace de travail différent du domicile sont certains des facteurs qui peuvent les inciter à retourner dans l’espace fourni par l’employeur . Un seul modèle ne peut subvenir aux besoins de millions de travailleurs. La flexibilité radicale doit primer en entreprise. La main-d’œuvre sera ainsi plus heureuse et donc plus engagée. »