Lumières tamisées, bruits de fond en cuisine, tables dressées, service du vin. Depuis le 8 mars, les restaurants en zone orange ont enfin ouvert leurs portes! Pèlerinage en cuisine avec d’heureux élus à Trois-Rivières, Québec et Magog.
Simon Lemire, chef-copropriétaire chez Épi, buvette de quartier, Trois-Rivières
Gérer la réouverture : « Nos portes ont ouvert le 12 mars, il nous a fallu quatre jours de plus pour bien se préparer. On est content! Pour le moment, l’offre est pour les soirs, du jeudi au samedi. Il y a 26 places au lieu de 40. Avec le couvre-feu, on ne peut pas rouler sur deux services. Pour pallier au manque de volume et rentabiliser, on a mis en place un menu à l’ardoise et deux forfaits, une dégustation quatre services et un accord mets-vins. Utile aussi pour l’inventaire! Il faut pré-payer pour réserver. On reste fidèle à notre image d’être local avec Libro, un service de réservation en ligne 100% québécois ».
Et l’équipe ? «Les serveurs sont ceux qui ont le plus écopé. Les nôtres sont restés fidèles et ont répondu à l’appel. On est une petite équipe tissée serrée. Nos cuisiniers ont toujours travaillé. Trois d’entre eux ont cependant fait un changement de carrière! Je crains une rareté de main-d’œuvre dans le secteur très prochainement»
Minuit moins une… « Si les fermetures se prolongeaient au-delà de mars, on ne donnait pas cher de notre peau ! Il était temps de ré-ouvrir. On a des reins… mais pas solides à ce point-là ! »
Réorganisation Covid: « Notre plan d’affaires a changé cinq fois ! On s’est creusé les méninges: repas à préparer chez soi, kits boîtes à lunch et concept garde-manger Épi-cerie. Comme on fait tout de A à Z, du feuilleté au ricotta, c’était une belle manière de continuer à mettre de l’avant nos produits. Un volet caviste pour les fêtes avec des vins d’importation privés a aussi été développé avec la copropriétaire Mireille Dugré qui est sommelière.


Suzanne Gagnon, copropriétaire de Laurie Raphaël, Vieux-Québec
Gérer la réouverture: « À partir du 16 mars, nous sommes ouverts le soir, du mardi au samedi, à 50% de notre capacité, avec un seul service à cause du couvre-feu. Vu qu’il n’y a plus de dîners d’affaires, il n’y a plus de raison d’ouvrir le midi. On est aussi mis responsables de la provenance des clients, c’est-à-dire qu’il faut s’assurer qu’ils ne viennent pas d’une zone rouge. La police fait des vérifications ».
« L’annonce de la réouverture date d’à peine une semaine et demie. On est tous rouillés. Il a fallu former les employés au nouveau menu qui a évolué pour s’adapter à la clientèle locale, aux nouveaux produits et aux palettes de vin. Il a fallu commander auprès des fournisseurs, refaire l’inventaire au complet, gérer les réservations… et après cinq mois de fermeture, c’est aussi le grand ménage! Ici, c’est comme un grand ballet classique que l’on sert à notre client. Tout doit être harmonisé, des couverts aux accords de vin. Ça ne se fait pas en un claquement de doigts ».
Et les employés? « On a gardé tous nos cuisiniers et l’équipe de base est au rendez-vous. On a la même masse salariale mais pour la moitié des revenus ».
Minuit moins une… « La réouverture a été un choc. Plutôt que de nous rassurer, ça nous a inquiétés. C’est arrivé un mardi en pleine Semaine de relâche avant même d’avoir attendu l’impact sanitaire des vacances. Surtout, il ne faut pas que le gouvernement nous ouvre… pour refermer après. Je m’inquiète pour notre industrie. Je sens les tremblements. C’est la bulle des marchands de bonheur (restauration, culture, hôtellerie) qui payent le plus cher la pandémie. Je ne sais pas si je peux oser espérer de célébrer nos 30 ans cet été dans l’effervescence ».
Réorganisation Covid: « On a travaillé trois fois plus. On s’est réinventé au moins six fois… pour faire 20 % de notre chiffre d’affaires! La période de la pandémie a été celle de la sauvegarde des acquis, mais aussi du déploiement de toutes nos connaissances. Ça a pris plus que de la persévérance, un qualificatif normalement nécessaire à tout bon restaurateur. Ça a aussi pris de l’imagination et une confiance inébranlable. »
« On a fait du service à l’auto et deux semaines en take-out par mois, simplement pour garder nos cuisiniers, assurer une présence et conserver notre notoriété. L’été, les touristes représentent 75% de notre clientèle. La saison estivale 2020 a été rescapée par les Québécois qui ne dépensent toutefois pas la même portion de leur budget en haute gastronomie ».
À l’aide! « Les aides ont été essentielles pour passer au travers. J’essaie d’ailleurs de mettre en place une table ronde avec le ministre Fitzgibbon afin d’encourager la déduction des dépenses d’affaires à 100 % dans les restaurants, au lieu du 50 % actuel. Je crois que c’est une mesure importante pour la relance des restaurateurs. Il y a aussi le défi de la main-d’œuvre à adresser ».
Alexandra Verret, propriétaire des restaurants Pinocchio et Alessa, Magog
La réouverture : « On ne s’attendait pas à cette nouvelle en pleine relâche! Un peu précipité selon nous et peut-être pas suffisamment respectueuse des restaurateurs, même si on est contents. Nos deux restaurants sont maintenant ouverts. Chez Alessa, la transition s’est faite assez naturellement. Sept jours sur sept et complets les midis et les soirs. Chez Pinocchio, on a pris quelques jours pour finaliser et on a rouvert le 12 mars. La capacité est réduite, mais on compte une soixantaine de places au lieu des 75 habituelles, ce qui n’est pas si mal. La logistique est maîtrisée, mais il reste la contrainte des provenances de nos clients qui ralentit le temps d’accueil et n’est pas toujours évident à Magog où plusieurs ont des chalets de fin de semaine tout en étant résidents à Montréal.

Et les employés? « On a pu garder la majorité de nos employés. Certains ont été temporairement transférés du Pinocchio vers Alessa. Et la plupart sont au rendez-vous pour la réouverture. Comme les étés à Magog sont rock and roll, le recrutement et la formation étaient en branle pendant la relâche quand l’annonce est arrivée. Un autre bon move! Le défi de la main-d’œuvre reste présent, surtout en cuisine ».
Réorganisation Covid: « Le Pinocchio est resté fermé les deux fois, de la mi-mars à juin 2020 et à nouveau à partir de la mi-novembre. Chez Alessa, on s’est tourné vers un système de livraison, avec l’achat d’une voiture pour l’occasion. On était habitués au take-out, ça a très bien été. La deuxième fois, on était encore plus prêts! Dans l’éventualité d’une autre fermeture, dès l’été, on a établi un système de commande en ligne et commandé des plexiglas. La saison estivale a d’ailleurs été exceptionnelle, un vrai raz-de-marée! »
Minuit moins une? « Pas vraiment. Les subventions salariales ont aidé. Être propriétaire de deux restaurants côte à côte allège le poids du loyer. Les clients du Pinocchio ont temporairement pris d’assaut notre resto voisin en attendant. Le va-et-vient constant chez l’un a permis de mettre de la vie quand même chez l’autre à côté. Le contact avec notre clientèle a été maintenu, notamment par les réseaux sociaux.