Réconciliation avec les autochtones | Engagements des uns et évitement des autres

Isabelle Naessens

30 novembre 2021

7 minutes

Malgré l’enchâssement des droits des autochtones dans la Constitution canadienne, la vie dans les réserves témoigne du fossé entre principes et réalités : chômage élevé, décrochage scolaire, problèmes de santé physique et mentale, pauvreté, manque de logements, etc. Avec le décès tragique de Joyce Echaquan et l’histoire des pensionnats qui refait surface, les Québécois essaient de comprendre ce qui s’est passé. L’heure est à la vérité et à la réconciliation.

 

Une Table politique conjointe entre le gouvernement du Québec et l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL), qui regroupe 43 chefs, a été créée  en mars dans le but de renouer et restaurer les relations. C’est l’origine du Grand cercle économique qui s’est tenu les 25 et 26 novembre à Montréal : se rassembler pour trouver ensemble des moyens d’assurer la pleine participation des Peuples autochtones à l’économie québécoise. Des gens de la communauté d’affaires et des décideurs politiques étaient réunis avec les huit chefs des nations anichinabée, innue, ilnue, wendat et mi’kmaw ainsi que celui de l’APNQL, Ghislain Picard.

Engagement des milieux municipaux et des affaires 

L’équation entre la pénurie de main-d’œuvre dans les entreprises québécoises et le chômage chez les autochtones est simple. Il y a une réelle occasion de transformer les défis en opportunités réciproques. Encore faut-il comprendre les réalités sur le terrain. « Il y avait cette grande entreprise qui voulait recruter, et personne ne s’est présentée, raconte Danièle Henkel, qui animait un panel sur les partenariats d’affaires. Il faut dépasser les préjugés et les incompréhensions. Quand la compagnie s’est déplacée dans les territoires pour aller vers les communautés, elle a pu recruter près de 600 employés. Plusieurs n’avaient simplement pas de moyens pour se rendre à l’entrevue d’embauche ». 

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Ceci dit, de plus en plus de liens sont créés entre des autochtones et des municipalités. En matière de développement touristique notamment : la Fédération des pourvoiries du Québec et Aventure écotourisme Québec ont été récompensées pour le projet d’incubateur-accélérateur nordique en collaboration avec les communautés autochtones visant à développer le tourisme de nature et d’aventure au nord du 49e parallèle. Pour sa part, Tourisme Autochtone Québec soutient les entrepreneurs autochtones pour développer et promouvoir leurs projets  : « Le tourisme autochtone, c’est un outil de rapprochement, de fierté, une façon d’occuper le territoire, de partager nos langues et de se connaître », a souligné le directeur général, Dave Laveau.

Quant à Mélanie Paul, présidente d’Inukshuk Synergie et d’Akua Nature, elle est à l’origine de plusieurs partenariats réussis. Elle est aussi cofondatrice, avec Danièle Henkel, de Mocassins et talons hauts, dont la mission est de faire rayonner les femmes entrepreneures des Premières Nations et de créer des alliances avec les gens d’affaires  allochtones. « Je crois énormément au potentiel de créer des ponts, de développer des modèles d’affaires avec les ressources de chacun. Le développement économique joue un rôle de premier plan dans l’amélioration des conditions de vie des autochtones, dont j’ai été témoin dans ma carrière qui a débuté en service social. Beaucoup sont prêts ; il faut leur montrer des modèles, leur redonner espoir et les accompagner », a-t-elle partagé avec beaucoup d’émotions.

Un autre incubateur pour propulser les jeunes entrepreneurs autochtones est HEC Montréal, qui en a profité pour faire une annonce historique : la création de l’École des dirigeants des Premières Nations, inclusive et diversifiée à leur image, initiée par et pour les leaders autochtones de demain. 

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À l’issue de cette rencontre, plus de 130 groupes s’étaient engagés envers les Premières Nations et la Nation inuite afin de tisser des liens de collaboration fructueux et respectueux. La déclaration a notamment été endossée en présentiel par l’Union des municipalités du Québec, le groupe financier BMO, la Fédération des chambres de commerce du Québec (sur laquelle siège un autochtone sur le conseil d’administration), le Conseil du patronat du Québec, Pomerleau, Rio Tinto et Hydro-Québec. Ils s’engagent à reconnaître l’existence de territoires ancestraux et de traités, à promouvoir la conclusion d’ententes avec les peuples autochtones pour contribuer à la participation active des communautés à la croissance économique et à assurer une représentation équitable des Autochtones en milieu de travail.

Ces engagements restent à avaliser sur le terrain. Il y a 15 ans, rappelons qu’une rencontre similaire avait eu lieu. Les mêmes questions de reconnaissance et de participation avaient été abordées, et laissées sans réponse au Forum socioéconomique des Premières Nations. L’éléphant blanc était toujours présent dans la pièce ces derniers jours…

« Est-ce que le Québec est capable de faire les choses autrement? » 

«Le territoire est la base de la richesse dans cette province», a affirmé la cheffe nationale de l’Assemblée des Premières Nations, Rose-Anne Archibald. « Ce sont nos ressources naturelles qui font en sorte que le Québec est précurseur dans les énergies vertes » de rétorquer le chef Gilbert Dominique.

Les revendications territoriales et le partage des profits, c’est-à-dire la part des redevances liées au développement des ressources naturelles, et la question de leur accès, alors même qu’elles se trouvent sur les terres ancestrales des Premières Nations, sont au cœur des réclamations devant être adressées afin d’entrevoir une possible réconciliation. 

Autour du Cercle, les visages étaient fermés. Il y avait une tension palpable, et de la colère aussi, devant les annonces creuses du premier ministre et les questions esquivées, sans grande sensibilité, faisant la sourde oreille. Un évitement flagrant, et de l’opportunisme, tout au plus, selon eux. 

« À quand les réponses à nos questions soulevées depuis trop longtemps ? », ont récriminé plusieurs, dont les chefs John Martin, Gilbert Dominique et Réal McKenzie, visiblement échaudés : “C’est l’histoire d’un peuple qui est au cœur des polémiques ; nos communautés ne peuvent plus endurer cela. Colonisation, territoires non cédés, marginalisation… tant que le Québec, qui n’a toujours pas adopté la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ne reconnaît pas les droits ancestraux des Premières Nations et n’abordent pas de front ces considérations, la réconciliation ne pourra pas avancer réellement”. 

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Chef Ghislain Picard et Ministre Ian Lafrenière © Chambre de commerce de Québec

François Legault et son ministre des Affaires autochtones, Ian Lafrenière, ont répondu qu’ils étaient prêts à s’asseoir avec chacun d’entre eux pour discuter « de Nation à Nation ». Selon les chefs Dylan Whiteduck et Kahsennenhawe Sky-Deer, c’est la tactique de diviser pour mieux régner. « On a tous ensemble la responsabilité de réfléchir aux futures générations, et notamment d’offrir une économie durable, structurée, pas seulement au cas par cas selon les projets. 

« Il faut adresser certaines assises pour notre développement, dont le territoire et nos droits sur celui-ci », a conclu le chef Dominique. 

Certes, les chefs autochtones présents au Cercle économique ont été entendu par le milieu des affaires. « Quant au gouvernement, le temps est venu de se dire les vraies choses”, a enjoint le chef Ghislain Picard, éprouvé émotionnellement, de son propre aveu. Le bâton de la parole a circulé. La vérité s’est fait entendre, et avec elle des besoins clairs. Tous s’attendent maintenant à un véritable partage, à un engagement réel du Québec, pour que les générations futures puissent grandir dans une ère de réconciliation. Pour qu’autochtones et allochtones puissent ensemble participer à la vie économique et sociale sur les terres qui les ont vu grandir.

À propos de l'auteur(e)

Isabelle Naessens

À propos de Isabelle Naessens

Rédactrice, analyste, critique, Isabelle Naessens est une femme réfléchie, engagée et versatile qui a œuvré en relations internationales avant de se tourner vers la communication. Stratège relationnelle créative, elle se joint à l’équipe de Henkel Média en tant que rédactrice principale et créatrice de contenus.