Une entrevue d’embauche se ponctue immanquablement par la question suivante: pourquoi êtes-vous la meilleure personne pour le poste? Aujourd’hui, elle comprend aussi le retour d’ascenseur du candidat : pourquoi viendrai-je travailler pour vous? Dans le contexte de pénurie de talents (voire de guerre de talents dans certains secteurs), qui a le plus gros bout du bâton?
Questions et solutions avec ELISABETH STARENKYJ, associée principale et co-présidente de la Tête chercheuse.
«J’appartiens à une génération pour qui avoir un emploi relevait de l’exploit, observe celle qui cumule 15 ans d’expérience en marketing, communications et ventes. On le gardait à tout prix, car en trouver un autre était difficile. Aujourd’hui, les talents que l’on recrute peuvent recevoir trois à quatre offres par semaine. Alors s’ils ne sont plus heureux ou motivés dans leur emploi actuel, s’ils ont cessé d’apprendre, ils n’ont qu’à prendre le prochain appel et à bouger. Cette dynamique crée une pression énorme sur les employeurs.»
Si la pénurie de talents affecte un grand nombre de sociétés depuis cinq bonnes années, elle va en s’accélérant depuis les douze derniers mois. «Avant, nous arrivions à générer cinq ou six candidats en trois semaines, aujourd’hui, dans le même délai et avec les mêmes efforts, on en trouve un ou deux, illustre la chasseuse de têtes. Et ceux-ci sont souvent déjà en processus d’embauche dans d’autres organisations.»
Dans ce contexte, les employeurs doivent être prêts à transformer complètement leur mode de recrutement. «Je compare cette transition à la transformation technologique des dernières années. Certaines entreprises se sont adaptées, d’autres pas, et rapidement, on voyait le décalage.»

SOLUTION #1 : un changement de culture de recrutement
Pour ne pas manquer le bateau, les entreprises doivent donc faire une introspection pour définir leur ADN et renforcer leur marque employeur: «Il est temps que les employeurs se réveillent: ils doivent se préparer à passer une entrevue eux aussi et à être authentiques. Un emploi et un salaire ne suffisent plus à la génération montante qui cherche à travailler pour des supérieurs inspirants, pour des entreprises en phase avec leurs valeurs, qui redonnent à la communauté, qui s’impliquent. Aujourd’hui, les gens ne se définissent plus par leur travail. Celui-ci fait plutôt partie d’une adéquation qui les définit comme personne. Alors ils cherchent des occasions de grandir, de faire une différence.»
Exit donc les discours prémâchés, ils veulent de la transparence. «Il faut s’imposer les mêmes exigences que celles que l’on impose aux candidats!», insiste l’experte.
Exit également les processus de recrutement longs en quatre étapes qui risquent d’entraîner la perte de bons candidats en cours de route. «Dans un contexte de pénurie de talents, il faut notamment être prêts à faire une offre à un employé qui démissionne. Perdre un employé coûte souvent plus cher qu’une augmentation salariale.»
«Il est grand temps de s’ouvrir aux talents, peu importe leur provenance, leur âge ou leur profil atypique, soutient la chasseuse de têtes, Elisabeth Starenkyj. Le talent, c’est le talent et il peut être transférable!»

SOLUTION #2 : le transfert de talents
Dans les industries où la guerreaux talents est particulièrement féroce, les cadres doivent se montrer plus créatifs que jamais. «Le candidat au profil parfait n’existe peut-être pas. Une des solutions que nous voyons est de faire montre d’ouverture pour des candidats qui ont la motivation ou la capacité d’apprendre. On peut penser à un directeur marketing qui souhaite devenir directeur général, par exemple. Il n’a peut-être jamais touché aux finances, mais il a envie d’apprendre et il va l’apprendre.»
Une autre avenue serait de recruter un candidat qui a les compétences, mais qui est issu d’une autre industrie. Un représentant des ventes qui a toujours évolué dans le domaine des télécommunications et qui rêve d’aller en beauté, par exemple.Il faut simplement reconnaître ses compétences et le former. Un employeur qui répond à l’appel de la motivation d’un candidat trouvera habituellement un employé loyal, fidèle et qui donnera le meilleur de lui-même.»
SOLUTION #3 : la diversité
Le mot «diversité » fait aussi partie de la solution, selon Mme Starenkyj. Diversité des cultures, mais de l’âge également. «Il y a actuellement une force plus âgée qui est disponible et les employeurs auraient tout intérêt à intégrer ces personnes d’expérience dans leur équipe. Avec les jeunes talents, ça crée un cocktail très intéressant. Quand on sait que les jeunes veulent tellement apprendre, il y a un partage très intéressant qui peut se faire en mode accéléré.»
Y a-t-il de l’âgisme à l’heure actuelle en entreprise? Elisabeth Starenkyj pense que oui! «Même les travailleurs actifs pensent à leur carrière avec cette épée de Damoclès au-dessus de leur tête. Comme s’ils avaient une date de péremption! On le voit beaucoup dans le domaine marketing où on pense que jeunesse égale créativité. Or, selon moi, la créativité n’est pas l’apanage de la jeunesse. Les gens qui ont de l’expérience ont des idées plus réfléchies et moins instantanées qui peuvent, elles aussi, nous propulser! »
«À l’inverse, il y a aussi des jeunes qui sont capables d’occuper des postes de seniors, mais à qui on ne laisse pas de chance sous peine qu’ils ne soient pas prêts.»
«La pénurie de talents va forcer tout le monde à changer de lunettes et à mettre de côté les préjugés pour se concentrer sur les aptitudes, le potentiel et les motivations des talents.»