La semaine de quatre jours, une bonne affaire ?

Isabelle Naessens

16 août 2022

7 minutes

Qui n’a pas rêvé de longs weekends et d’une semaine de travail écourtée ? Un horaire plus équilibré entre vie personnelle et professionnelle qui permettrait de se recentrer et d’arriver au boulot l’œil brillant ! C’est possible, disent les travailleurs ? Est-ce une bonne affaire, questionnent les entrepreneurs ?

Le marché du travail change à vitesse grand V. Les entreprises s’adaptent, d’abord à la pandémie et au télé-travail, puis à la pénurie de main d’œuvre et à l’inflation. Toutes sortes d’incitatifs voient le jour pour attirer et retenir les talents : mode de travail hybride, augmentation des salaires, meilleurs conditions, leaders empathiques, priorité à la santé mentale, considérations écoresponsables, et bien d’autres. La semaine de travail de quatre jours en est un autre.

La semaine de 4 jours dans le monde

Il y a moins d’un siècle, on passait de la semaine de six jours et ses quarts de huit heures, à la semaine de quarante heures sur cinq jours, grâce à ce célèbre Henry Ford. Aujourd’hui, la révolution se poursuit : la semaine de quatre jours gagne du terrain partout dans le monde. 

L’objectif ? Remédier à la pénurie de personnel et voir l’impact de la réduction du temps de travail sur la productivité des entreprises et le bien-être des travailleurs, mais aussi sur l’environnement et l’égalité des sexes. 

Chez nos voisins du Sud, c’est une réalité de plus en plus tangible, « c’est même le vrai grand changement du travail ces dernières décennies », croit Daniel Hamermesh, professeur d’économie à l’Université du Texas. Même chose en Islande, en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas, en Espagne, au Royaume-Uni, en Corée du Sud ou au Japon. 

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Entre 2015 et 2019, 2 500 Islandais ont testé la semaine de 35 heures en quatre jours, sans baisser les salaires ou presser le citron ! Or, ceci n’a entraîné « aucune baisse de la productivité ou de la fourniture de services » et le bien-être des travailleurs s’était « considérablement amélioré ». En 2019, le géant Microsoft expérimentait au Japon ce modèle pendant un mois : la productivité augmentait de 40 % ! En 2021, le gouvernement de ce pays où le travail est à l’honneur et le surmenage tout autant, proposait à toutes les entreprises d’élargir cette initiative afin d’instaurer un meilleur équilibre de vie. 

En juin dernier, le Royaume-Uni y plongeait à grande échelle, avec 3300 employés dans soixante-dix entreprises, secteurs confondus, sur six mois. Cet essai, le plus vaste jamais mené, aura l’avantage de donner plus de temps aux entreprises pour expérimenter et rassembler des données.

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“More than a century after we invented the five-day week, the pandemic has paved the way for us to fundamentally rethink how we live and work. It’s long past time for us to challenge the work practices and norms that were designed for the second industrial era, and recognize that we have the productive capacity and technological tools at our disposal for the future of work to be shorter and smarter.”  –Fondateur de 4-Day Week Global 

Et au Québec ? 

Une étude de l’agence Indeed a révélé que 41 % des employeurs canadiens envisagent des horaires hybrides alternatifs et de nouveaux styles de travail. L’enquête a révélé que 51 % des grandes entreprises de plus de 500 employés seraient susceptibles de mettre en place des semaines de travail de quatre jours, et que 63 % des organisations de taille moyenne (entre 100 et 500 employés) se disent également prêtes. Le Parti libéral de l’Ontario a même annoncé qu’il mettrait à l’essai la semaine de quatre jours s’il remportait les élections de 2022 ! 

Au Québec, la semaine écourtée fait de plus en plus d’émules. Lentement, mais sûrement. La Fondation David Suzuki est une des premières à l’avoir mise en application, dès les années 1990, au nom de la réduction des émissions polluantes. Expedibox, un fournisseur de casiers intelligents, offre une semaine réduite depuis sa fondation en 2017. Le studio de jeux vidéo Eidos, la start-up Edibox, l’entreprise Diffusion Solutions Intégrées, l’agence de marketing Rablab ou encore le fabricant de T-shirts Poches & Fils s’y sont récemment mis. Et il y en a d’autres. La toute dernière est l’agence Aura Social, qui a décidé de mettre au banc d’essai les quatre jours sans changement de salaires pour l’été. Et si l’expérience continuait à la rentrée ?

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Eidos studios, gagnante de Best place to work in Canada 2021 et Montreal's top employers 2022

Chez Poches & Fils, c’est ce qui est arrivé l’an passé. La formule, qui devait s’échelonner sur les trois mois estivaux, a été un succès. Elle a été définitivement adoptée en octobre 2021, date à partir de laquelle les 500 employés des studios Eidos de Montréal et de Sherbrooke ne travaillaient plus non plus le vendredi. « C’est une façon d’aider les troupes à recharger leurs batteries, d’augmenter la productivité et de favoriser la rétention », a affirmé Marie-Chantal Ledoux, CRHA stratège en ressources humaines et directrice principale Talents et Culture chez Eidos Montréal.

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Mieux gérer son temps : moins de réunions inutiles et plus de temps de travail concentré

Comment l’implanter ?

Comme toute chose, la mise en œuvre comporte son lot de défis. Implanter le quatre jours dans une entreprise vient avec une toute autre manière de faire les choses. On ne parle ici de « la semaine de travail comprimée », avant autant d’heures mais sur quatre jours ! Il faut donc repenser l’organisation du travail, couper certaines réunions inutiles et miser sur des périodes de concentration (où l’on n’est pas dérangé par les collègues) pour se consacrer à des tâches précises.  

Marie-Chantal Ledoux partage son expérience : « Avant de se lancer, chaque équipe a dû passer au crible ses façons de faire pour établir des stratégies pour améliorer son efficacité. Beaucoup ont suggéré des outils pour accélérer le travail et mieux collaborer ou pour ajouter de l’automatisation. Nous avons aussi optimisé les réunions, qui sont plus courtes. Et, après deux heures l’après-midi, on ne prévoit plus de rencontres. C’est du temps libre pour travailler de façon concentrée ».

Horaire réparti sur quatre jours, congé un jour par semaine selon les choix de chacun, ou 32 heures étalées sur cinq jours. On peut donner une certaine flexibilité en fonction des besoins de chacun afin que ce jour de congé supplémentaire ne devienne pas un cadeau empoisonné. Il faut s’assurer que les objectifs demeurent réalistes et trouver le juste équilibre entre les cibles établies par l’organisation et le bien-être des travailleurs. Les gestionnaires doivent être capables d’élaborer des outils permettant d’évaluer les gains ou les pertes en lien avec ces changements, et déterminer à l’avance leur unité de mesure, le taux de burn-out par exemple.

Travailler moins ne grignote pas la rentabilité

Viser 32 heures et garder les mêmes salaires, sans affecter la rentabilité de l’entreprise ? Rester productif, ou même l’être davantage en quatre jours plutôt qu’en cinq ? C’est possible ! 

Pour Sabaa Khan, directrice générale, Québec et Atlantique, à la Fondation David Suzuki, le bien-être du personnel se traduit en économies. « Il y a moins de cas d’épuisement ; le nombre de jours de maladie baisse et le personnel s’absente moins, explique-t-elle. Des employés reposés et moins stressés sont plus productifs ».

Diminution des cas d’épuisement professionnel, hausse de la satisfaction des employés, meilleure créativité et productivité : les avantages sont autant pour l’employé, qui est plus heureux et en meilleure santé, que pour l’entreprise, qui bénéficie d’employés motivés.

Les bienfaits de la semaine de quatre jours sont multiples. En outre, sur notre marché du travail marqué par la concurrence et la pénurie de main d’œuvre, la flexibilité est un argument décisif pour le recrutement et la rétention de talents. 

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Un employé reposé et heureux est plus productif

À propos de l'auteur(e)

Isabelle Naessens

À propos de Isabelle Naessens

Rédactrice, analyste, critique, Isabelle Naessens est une femme réfléchie, engagée et versatile qui a œuvré en relations internationales avant de se tourner vers la communication. Stratège relationnelle créative, elle se joint à l’équipe de Henkel Média en tant que rédactrice principale et créatrice de contenus.