L’innovation est cruciale pour la survie des entreprises. Mais qu’entend-on véritablement par innover ? Et comment s’assure-t-on de mettre l’innovation au programme ? Nous avons posé la question à Laurent Simon, professeur titulaire au département d’entrepreneuriat et innovation et co-directeur de Mosaic Pôle Créativité & Innovation à HEC Montréal.
Que veut dire «innovation» dans le contexte entrepreneurial?
Si l’on veut une définition terre à terre, l’innovation, c’est la production du nouveau. C’est-à-dire qu’il ne s’agit pas simplement d’avoir une idée nouvelle, mais aussi de la concrétiser, de la mettre en oeuvre, de la produire. On parle notamment de nouveauté pour générer de la valeur, pour apporter de nouvelles idées dans les marchés B2C (business to customer) ou B2B (business to business), pour revoir les processus ou les procédés d’une organisation…
L’innovation absolue est très rare et elle ne se cantonne pas qu’aux technologies. Elle est relative au contexte de chaque entreprise. Ce qui est innovant pour l’une ne le sera pas pour l’autre. Les organisations peuvent faire de l’innovation des processus, de l’innovation du modèle d’affaires, de l’innovation managériale ou de l’innovation stratégique.
Pourquoi est-il important que les entreprises innovent?
Parce que si elles ne le font pas, elles meurent. Nous vivons dans un monde extrêmement volatile, accéléré par les technologies, dans lequel les consommateurs ont des attentes de plus en plus complexes sur le produit ou le service, sur son impact environnemental, ses effets sociaux, ses aspects éthiques… En outre, ils sont de plus en plus infidèles aux marques et avides de nouveautés. Pour continuer à être pertinent dans son marché, il faut s’adapter continuellement à leurs besoins et à leurs attentes. Ne pas innover comme entreprise, c’est presque une forme de suicide.

Les organisations ayant un modèle traditionnel peinent pourtant à mettre l’innovation au premier plan…
Effectivement. Nous avons eu des exemples d’entreprises qui se croyaient toutes puissantes et qui ont raté leur évolution. Je pense à Kodak, à l’industrie automobile, à Research In Motion. Il y a aussi Target qui n’a pas su adapter son modèle au marché canadien et qui a connu un échec important.
Il y a tout un pan de notre économie, l’univers des PME, qui est en déficit d’innovation. Il y a un travail important à faire auprès de ces petites et moyennes organisations afin de les accompagner dans ce processus.
Le danger c’est que le discours sur l’innovation en entreprise est entretenu, mais qu’on a de la difficulté à passer à l’action parce qu’on ne maîtrise pas ce qu’est une démarche d’innovation. On a parfois l’impression que ça va tomber du ciel. Or, l’innovation suppose une démarche organisée, structurée et gérée.
Par où commencer?
On me demande souvent quelle est la recette secrète. Le point de départ est simplement d’en faire (de l’innovation) et donc de s’engager dans ce processus en investissant du temps. Le nerf de la guerre, plus que les ressources économiques, c’est d’y mettre du temps. De se poser la question de façon systématique et régulière. De s’engager dans des projets, même modestes, et de s’évaluer constamment. Pour y arriver, il faut se faire aider afin d’avoir les idées plus claires dans le contexte de sa propre organisation.
L’innovation, ce n’est pas individuel, c’est du collectif, du collaboratif. C’est faire preuve d’ouverture. C’est inviter dans une entreprise un regard complémentaire. C’est s’engager dans l’action!
Innover ne serait pas le propre de l’entrepreneur? Faire de la recherche et du développement, donner de la valeur à son entreprise, la faire grandir ne devrait-il pas être dans l’ADN de tout entrepreneur?
J’en suis convaincu. Le rôle de l’entrepreneur, c’est de déclencher l’innovation au sein de l’organisation. Or, il faut souvent mettre une personne (un intrapreneur) ou un département responsable de l’innovation, car il importe d’avoir un porteur de ballon.
De plus en plus, à HEC Montréal, on voit l’innovation comme une compétence de base qui n’est pas réservée strictement à l’entrepreneur, mais aussi au gestionnaire qui doit cultiver ces questions pour sortir des sentiers battus et assurer le développement et la survie de son organisation.
Comment ? En investissant dans une veille constante sur les produits et les marchés et sur nos clients pour être à l’écoute de leurs besoins. En allant sur le terrain questionner les clients et leurs usages, comprendre les irritants. Aussi en incitant les clients à rêver, à fantasmer sur ce que pourrait être le produit ou le service, notamment, pour reconnaître leurs besoins actuels et anticiper leurs besoins futurs…
Ne trouvez-vous pas que le mot «innovation» est galvaudé à l’heure actuelle dans le monde des affaires ?
Certainement. C’est devenu un symptôme de l’accélération de notre économie. C’est pour cela qu’il faut moins en parler, et qu’il faut le faire ! Il faut aller vers l’action, vers la concrétisation.
C’est l’état d’esprit d’innovation qu’il faut cultiver. Se projeter et imaginer son entreprise dans cinq ans par exemple : quel va être mon meilleur vendeur ? Quels seront mes produits à risque ? Quels seront mes nouveaux marchés ? Quelle sera mon utilité pour mes clients et quelles seront mes nouvelles sources de création de valeur ? Ces questions sont des déclencheurs d’innovation…
Laurent Simon

Laurent Simon, PhD., est professeur titulaire au département de l’Entrepreneuriat et de l’Innovation à HEC Montréal, et co-directeur de Mosaic, Pôle Créativité et Innovation à HEC Montréal. Depuis plus de quinze ans, il développe des cours et formations en management de la créativité pour l’innovation et intervient régulièrement sur ces thèmes auprès d’organisations privées et publiques à Montréal et à l’international. Il est aussi co-directeur scientifique de l’École d’été en Management de la Création dans la société de l’innovation Montréal-Berlin-Barcelone. Il a publié une vingtaine d’articles scientifiques et contribué à plusieurs ouvrages sur les questions de management de la créativité et de l’innovation.