La pandémie nous oblige à revoir nos façons de travailler. Les espaces de bureaux sont-ils toujours aussi pertinents et incontournables en 2021? Nous avons posé la question à deux entrepreneures. Les dirigeantes de Dju Design et MR Gestion de patrimoine & solutions collectives visent une réduction significative de leurs pieds carrés, avec des visions différentes de leur organisation du travail.
En franchissant le pas de la porte de Dju design, un studio de création graphique sur la rue St-Hubert à Montréal, on entrait dans un décor, comme un lieu de vie. C’était sa signature. Une carte de visite vivante à l’effigie de la marque. Mais le studio n’a plus pignon sur rue. « Ça a été une décision crève-cœur », confie Julie Bernèche, la fondatrice. « En cette période d’incertitude, j’ai mis tout le mobilier design dans un entrepôt ». En automne, elle sous-loue une partie de l’espace d’un ami qui s’est retrouvé vide. Une expérience qui lui plait, et qu’elle va renouveler.
Télétravail et chamboulement des bureaux
Octobre 2019. Une construction bruyante dans l’immeuble avait d’abord forcé l’équipe à se relocaliser pour six mois dans un bureau temporaire semi-meublé. Un avant-goût de perturbation. Les employés devaient regagner leurs pénates le 1er avril, mais le télétravail s’est vu imposé par le gouvernement provincial dès mars. Alors que les commerces allaient rouvrir en mai, Julie Bernèche s’est questionnée quant à la pertinence de réintégrer l’espace initial, dont le loyer avait d’ailleurs augmenté. Comme plusieurs autres petits employeurs, le loyer est une dépense non négligeable pour la petite entreprise. Mais ce n’est pas ce qui l’a poussé à prendre une autre direction.

De son côté, Émilie Rousseau, cofondatrice de la MR Gestion de Patrimoine & Solutions Collectives souhaitait avant la pandémie alléger sa structure et créer un bureau centralisé qui soit à son image: moderne et efficace. Le cabinet se divise en trois bureaux: ceux de Laval et de Westmount, déjà agiles et flexibles avec une présence sur place réduite pour les employés, et celui de McMasterville (Rive-Sud), qui n’avait jamais expérimenté le télétravail. Depuis mars 2019, la cohorte d’une trentaine d’employés s’est vue contrainte d’être à 100% en télétravail. Une belle occasion qu’a saisie la copropriétaire pour revoir l’organisation et la pertinence de ses espaces locatifs. Sur trois bureaux, elle n’a conservé qu’un dixième de pieds carrés. Elle prend ainsi du recul pour mettre en place un plan de réintégration de ses équipes dans un seul espace repensé.

Nouvelles façons de travailler
« Je pense que le télétravail, même s’il est efficace, commence à montrer des signes de faiblesse », croit Émilie Rousseau. En tant qu’employeuse, elle veut naturellement conserver son efficacité et sa productivité. « Le contact humain est important », souligne celle qui a récemment mené un sondage auprès de ses employés, qui désirent en grande majorité revoir leurs collègues et revenir au bureau. Conserver un espace physique demeure un choix important pour le cabinet de services financiers. « Ce n’est même pas une question d’argent », explique Émilie Rousseau. « Garder un seul espace au lieu de trois, localisé stratégiquement, qui soit plus convivial et adaptatif en fonction de nos présences, de nos tâches et des besoins de nos clients », fait partie de ses réflexions.
Son de cloche similaire chez Julie Bernèche de Dju design, avec une réponse différente. « L’espace de coworking que j’ai sous-loué a fait beaucoup de bien à l’équipe. Surtout parce qu’on est des créatifs, on a besoin de se rassembler pour brainstormer. L’esprit d’équipe et la symbiose créative, c’est important », affirme cette bonne boss certifiée en 2020. Pour elle, le bureau est devenu avant tout un endroit où se rassembler. Sauf que le télétravail semble là pour rester. « Je crois que l’espace de bureau personnalisé n’est plus aussi nécessaire qu’avant. On peut être tout aussi fonctionnels de chez soi ». Et qui plus est, son modèle d’affaires, basé à 90% sur les références et le bouche-à-oreille, fonctionne très bien en télétravail.
Réaménager son espace
Le numérique y avait d’ailleurs déjà fait son incursion. « Même avant la pandémie, entrer dans notre univers et toucher les matières n’était plus si pertinent, poursuit Julie Bernèche. On modulait nos maquettes avec le numérique, et on utilisait BeHance pour présenter le portfolio ». Les consignes sanitaires avaient aussi freiné la visite des clients dans leur bureau, qui n’était pas adapté à la distanciation.
On était un joli petit bureau de design, pas un espace pouvant accueillir vingt personnes! De toute façon, nos clients aiment bien qu’on se déplace directement chez eux, pour mieux voir, mesurer… – Julie Bernèche

Pour sa part, Émilie Rousseau souhaite créer un espace collaboratif plus fonctionnel. Elle veut dynamiser l’espace et dépoussiérer un secteur conservateur. « Je veux être un employeur de choix et attirer des gens compétents et engagés. Il faut que les salariés aient envie de venir au bureau ». Voici comment elle aimerait aménager l’espace : « une aire ouverte, minimaliste, où rien n’est laissé sur les bureaux, où chaque employé apporte son portable et a à sa disposition un casier pour ses effets personnels. Avec des boots insonorisés pour les conversations confidentielles ». L’entrepreneure, qui souhaite améliorer l’engagement de ses employés, explique sa vision: « Venir au travail doit comporter une plus-value, avec les coûts de transport en commun payés ou le repas fourni. Avec une activité sociale ou sportive à la fin de la journée de travail ».
Elle pense aussi à un espace qui pourrait servir plusieurs besoins à la fois. « On peut parler avec nos clients sur Internet. Mais quand ils viennent sur place, je voudrais les accueillir d’une manière différente. Comme créer un événement client après un rendez-vous annuel dans notre salle de conférence, qui pourrait se transformer à cet effet ». Émilie Rousseau jongle avec toutes les options pour renforcer les liens, autant avec ses employés qu’avec ses clients, et faire des affaires autrement.