Ils se sont traités de brandisseurs de décorations d’Halloween ; ils ont évoqués des projets qui relèveraient d’un imaginaire merveilleux. Ils sont plusieurs à avoir clamé des solutions fabuleuses en pleine inflation, devant le spectre d’une récession mondiale, et la réalité d’une société divisée et fragilisée par la pandémie et les conséquences de décisions questionnables…
Les chefs politiques ont eu une chance de briller, ou du moins de clarifier leurs intentions, d’abord dans l’étourdissant face-à-face du 16 septembre, puis lors du débat des chefs plus posé, du 22 septembre, et du débat économique quelque peu stérile entre les cinq candidats locaux à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain le 26. L’opposition se partage actuellement environ 60% des intentions de vote face au gouvernement sortant. Occasion ratée ou réussie d’élargir leur base, de s’imposer comme alternative, ou de fédérer les votes face à une éventuelle majorité caquiste? À un mois dans la campagne et une semaine du scrutin, Henkel Média vous aide à vous poser les bonnes questions et analyser les positions.
Économie: pelleter des nuages?
Alors que la CAQ et son trio Fitzgibbon-Girard-Dubé s’est targué d’être LE parti de l’économie, où en est sa crédibilité économique devant l’inflation et le coût de la vie qui grimpe de plus en plus? Quelles solutions sont envisagées?
Le parti sortant, ainsi que les partis Libéral (PLQ) et Conservateur (PCQ), présentent le mirage alléchant de la baisse des impôts. Oui, le fardeau fiscal du Québec est le plus imposant de toute l’Amérique du Nord. Mais à quel prix? Et à qui profite le plus ces allègements? En plus de puiser à hauteur de 8,2 milliards $ dans les déficits (25 milliards pour le PLQ, c’est étonnant), la CAQ plongerait également la main dans le Fonds des générations pour se financer... À l’opposé, Québec Solidaire (QS) joue à Robin des Bois : prendre 4,5 milliards $ aux riches (et 12,3 milliards $ de taxes pour les grandes entreprises) pour redonner aux plus pauvres (les fameuses taxes orange). C’est beau, mais se laisseraient-ils faire?


Le Parti Québécois (PQ), doublerait le crédit d’impôt solidarité et annonce plutôt une allocation « pouvoir d’achat ». À 1200$ (ou 750$ selon les revenus), on peut la comparer au montant (400$-600$) offert par la CAQ à 6,4 millions de Québécois. Mais brandir quelques dollars sous le nez, n’est-ce pas stimuler davantage les dépenses et l’inflation, et surtout, agir comme un joli sparadrap qui finit par se décoller?
Pour faire face au coût de la vie, il y a aussi d’autres instruments. Le PLQ prévoit geler les tarifs d’électricité et la CAQ plafonner tous les services gouvernementaux. QS et le PLQ comptent suspendre la TVQ pour les biens essentiels. Le PCQ, les taxes sur la revente de biens usagés (incluant les voitures), mais aussi sur l’essence. Quand on sait que le Québec est champion de taxation en la matière, c’est plus qu’un joli chèque!
À ce sujet, le PQ (le seul à ne pas proposer de baisse d’impôt à la veille d’une probable récession – « ce serait un aller simple pour un cycle d’austérité »), entend remettre aux Québécois une partie des profits des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et des pétrolières nationales (ces « profiteurs de crise »). Mais refileront-elles la facture aux consommateurs? C’est une des avenues (magiques ou réalistes?) envisagées par le chef péquiste qui désire toujours un Québec indépendant.
Emploi, immigration, productivité et transition écologique
Le Québec accuse un retard en termes de virage numérique (même si la pandémie l’a accéléré) et de transition écologique. Selon un récent sondage de la Chambre, 87% des entreprises veulent transitionner mais veulent être mieux soutenus (les programmes actuels étant possiblement mésadaptés aux PME).
Production d’énergies renouvelables, biomasse forestière, électrification des transports collectifs ou PasseClimat, l’économie verte ne semble être qu’une préoccupation parmi d’autres sauf pour QS, qui présente une véritable politique industrielle pour réorienter l’économie. Le PLQ soutient le projet de carboneutralité mais a du mal à vendre son critiqué projet ÉCO (hydrogène vert). Le PQ propose une transition juste, mais assez tiède. Pour sa part, le PCQ soutient le développement de projets pétroliers et gaziers pour financer la transition énergétique, et la CAQ parle de nouveaux barrages, de l’agrandissement du réseau routier et du troisième lien à Québec…

Au-delà de la discussion (qui devrait être une priorité?), le grand défi actuel pour les entreprises demeure la pénurie de main-d’œuvre, frein premier au développement économique. « Parlons de l’éléphant dans la salle, a osé le candidat libéral. Nous avons 207 000 chômeurs et 250 000 postes vacants! »
Il y a eu (encore) de âpres discussions sur les seuils et types d’immigration souhaités (de l’ouverture des vannes à une immigration purement économique et 100% francophone, à une régionalisation et une plus grande reconnaissance des diplômes étrangers), mais aussi sur le retour au travail des travailleurs expérimentés âgés avec plusieurs incitatifs fiscaux, la requalification, la formation professionnelle et l’automatisation. (Lire Ces promesses électorales qui vous veulent du bien).
Le marché du travail se transforme, et les entreprises tentent de s’adapter. Le PLQ et QS souhaitent hausser le salaire minimum. Faut-il augmenter tous les salaires pour retenir les talents? Peu a été dit sur ces jeunes qui entrent sur le marché du travail et qui portent le poids de l’avenir du Québec sur leurs épaules…
Enjeux sociaux
Crise du logement, santé mentale fragile, crise socio-sanitaire, transformation du travail, identité mêlée, culture sous-financée, violence et pauvreté, vieillissement de la population, besoins criants d’investissements dans les réseaux en souffrance, les écoles et les hôpitaux, qui ont besoin d’amélioration des conditions de travail et d’un remaniement complet. Ils ont parlé de privatisation, un médecin de famille pour tous, des délais d’attente plus raisonnables, la fin de l’incorporation des médecins, formation, des bons en éducation, des investissements dans les infrastructures… Au sortir d’une crise sanitaire, alors qu’une commission d’enquête sur la gestion de la pandémie est demandée par tous les partis, trop peu de solutions concrètes, discutées et réalisables semblent être vraiment mises sur la table.

Des piliers de la société vacillent. Ces enjeux sont pourtant collectifs, au-delà de la partisanerie – du moins ils devraient l’être. Mais en attendant, au Québec, le lien social s’effrite et les inégalités se creusent. Une communauté tissée serrée…vraiment? Le fameux capital humain dont on parle pour faire virer nos entreprises, c’est bien le même. Les débats semblent parfois loin des réalités.
Dans une analyse du débat des chefs avec Céline Galipeau, Paul Wells, journaliste, n’a pas hésité à dire qu’il s’agit somme toute d’une « campagne assez frustrante sur l’éducation, l’identité, l’immigration et l’environnement », questions importantes pour la jeune génération. Comment le Québec construit-il son avenir?
Gouverner, c’est établir des priorités. Après deux années de pandémie, de peur et de restrictions de toutes sortes, il faut reprendre son pouvoir. Les élections en font partie. Il s’agit de se poser les bonnes questions. C’est décider de ce qui fait sens pour soi, mais aussi des bases sur lesquelles on souhaite forger une société saine et prospère, et articuler le bien vivre ensemble.