Agences de voyage | Vendre du rêve, vraiment ?

Isabelle Naessens

18 janvier 2022

5 minutes

Le tourisme, une filière qui regroupe l’hôtellerie, l’événementiel, la restauration, les loisirs, le transport et les agences de voyage, est un véritable moteur économique. « Le tourisme emploie une personne sur dix dans le monde et fait vivre des centaines de millions d’autres », rapporte Entonio Guterres, Secrétaire général de l’ONU. Mais en 2019, cette industrie a été stoppée net dans sa croissance ininterrompue depuis des décennies. Les pertes essuyées en 2020 sont similaires à celles de 2021 : 2000 milliards de dollars, estime l’Organisation mondiale du tourisme. Tous les acteurs en ont payé les frais. Nous avons parlé de la situation des voyagistes québécois à Moscou Côté et Éric Boissonneault, président et vice-président de l’Association des agences de voyage du Québec (AAVQ).

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« Le jour de la marmotte, version 4 ou 5 »

« On ne sait même plus c’est la combientième fois, mais on s’en vient bon, lance à la dérision M. Côté. Le moral des troupes est vraiment au plus bas ». 

L’arrivée du variant Omicron est venue doucher les espoirs de l’automne. « De septembre à novembre, on était occupé, enfin… rappelle M. Boissonneault. Même si les consommateurs étaient frileux, ils avaient hâte de partir se détendre pour Noël et la relâche. C’est notre période la plus achalandée ; décembre à mars représentent 40 % de notre année ». 

Le 15 décembre, l’annonce du ministre fédéral de la Santé M. Jean-Yves Duclos, de reconsidérer et d’éviter (encore) tout voyage non essentiel a eu l’effet voulu, à la veille des Fêtes : « C’était une recommandation, et non une interdiction de voyager. Mais plusieurs ont annulé, se désole-t-il. Actuellement, ceux qui tiennent bon roulent à 5 ou 10 % tout au plus ».

Pédaler dans le vide, fusionner ou fermer

« Chaque fois, il faut défaire les factures, rappeler les clients pour annuler ou reporter, demander des remboursements pour les cartes de crédit, contacter les assureurs… on travaille en double, sans avoir été payé une seule fois,  se fâchent les représentants de l’AAVQ. Et il faut qu’on paie l’employé qui a piloté le dossier avec les clients, et qui le rouvre pour tout fermer. Nous, on est payé qu’au départ des clients, à la commission. Avec les vols groundés, ça fait zéro, avec en plus des frais sur les bras ».  

Avant la crise, les agences de voyages québécoises employaient environ 11 000 conseillers et la valeur du marché se situait autour des 4,5 milliards de dollars. « 25 % des agences ont fermé, ainsi qu’un tiers des points de vente. Il y a eu des fusions, car certains ont dû se regrouper pour survivre, explique Éric. 

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Pour aider celles-ci, le gouvernement a décidé de donner les permis gratuitement. « ce qui se passe en réalité, c’est que le permis est accroché au mur, l’agence est théoriquement ouverte, mais les heures d’ouverture sont temporairement indisponibles ».

Aides et subventions pour ne pas se noyer

Le Programme fédéral de relance pour le tourisme et l’accueil accorde jusqu’à 75 % de subventions pour les salaires et le loyer aux entreprises ayant subi des pertes de revenus de plus de 40 %. « C’était indispensable pour nous garder à flot », affirme M. Côté.

Pour les entreprises les plus durement impactées, Québec a mis sur pied un financement d’urgence, le Programme d’Action Concertée pour les Entreprises (PACTE), volet Tourisme. « Nous avons fait du lobby auprès du ministre de l’Économie, M. Pierre Fitzgibbon, pour faire valoir notre point de vue. Et nous avons réussi. À ce jour, on est la seule province à recevoir un montant substantiel pour les agences de voyage, annoncent les deux acolytes fièrement. Ces prêts, en partie pardonnables, ont permis d’injecter des liquidités. Plusieurs ont pu éviter la faillite de justesse. Certes, ce sont encore des dettes, mais si c’est bien géré, c’est comme des subventions ».

Conseiller en voyages, un métier plus qu’utile

Faudra-t-il mettre les bouchées doubles pour redorer le métier et regagner la confiance des touristes ? « S’il est bien un point positif à cette crise, c’est que les gens ont compris, qu’au même prix qu’internet, un conseiller en voyages est vraiment un métier avec une valeur ajoutée, estime M. Boissonneault. Il y a eu une fausse perception selon laquelle les voyages en ligne sont moins chers, mais on est tous des grossistes, qui achetons un lot de forfaits, et en plus, on a la connaissance du terrain et des enjeux, et une relation personnelle avec le client que Expedia ou Booking n’ont pas ». 

« En ce moment, on gère les émotions des clients. Ils sont frustrés, enragés et mêlés. On passe du temps à répondre à leurs insécurités. On calme le jeu. On connaît les clauses d’assurance et les possibilités de remboursement, crédit ou rapatriement. On informe sur ce qui se passe réellement sur place, sur les destinations sécuritaires et sur les récentes mesures sanitaires.

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Étrangement, le Canada est parmi les pays les plus vaccinés, mais qui impose le plus de restrictions de voyage. Les Américains n’ont jamais cessé de voyager : ils ont appris à vivre avec le virus. On peut l’attraper ici ou ailleurs. Il y a de bons hôpitaux à l’étranger. Saviez-vous que certains croisiéristes offrent un retour en jet privé si vous êtes déclaré positif, que des chaînes hôtelières réservent des sections de plage et de restauration protégées ? » L’ AAVQ appelle à dédramatiser cette peur paralysante.  

Avec le temps, le monde s’ajuste et s’organise. Peut-être faudra-t-il désapprendre certaines choses pour continuer à rêver et sortir de notre bulle?

À propos de l'auteur(e)

Isabelle Naessens

À propos de Isabelle Naessens

Rédactrice, analyste, critique, Isabelle Naessens est une femme réfléchie, engagée et versatile qui a œuvré en relations internationales avant de se tourner vers la communication. Stratège relationnelle créative, elle se joint à l’équipe de Henkel Média en tant que rédactrice principale et créatrice de contenus.